Henri
CHOPIN
trop blanc ¿ > conférence
blanc sur noir
CONFERENCE DONNEE A L'ECOLE DES BEAUX-ARTS DE BESANCON 02/02/95.
proposée et présentée par Erratum Musical [Giroud,
Montessuis, Etienne, Handa]
- Audition d'une pièce de 1991 sur une compilation australienne
-
Bon.. alors je vous explique comment cette chose s'est faite.
Tout d'abord une anecdote. Quand j'étais enfant, j'ai refusé
de faire le conservatoire, parce que je pensais que ce serait ridicule
d'être dans un conservatoire avec mon nom.
Mes petits camarades se fichaient de moi, parce que bien sûr tu
viens là parce que tu t'appelles Chopin...
Nous étions trois frères, mon ainé c'était
Chopin, moi j'étais la Chopine et mon jeune frère, la Chopinette.
Situation insoutenable et vivre ça dans un conservatoire à
7/8 ans c'était insupportable. Avec la bonne raison que je ne sais
pas lire une note musicale. Et il se trouve pourtant que parmi les poètes
sonores de la première génération, je suis le seul
à être dans le domaine musical. J'ai pu collaborer avec Pierre
Mariétan, un Suisse, avec Sten Hanson, un Suèdois, et bien
d'autres... Je suis né en 22, donc bientôt après Waterloo
et De Gaulle, le 18 juin 1995 j'aurais 73 ans...ça va vite!...
L'enregistrement de 1991, publié dans une compilation australienne
a été fait au studio ABC Radio à Sydney. Je suis
producteur radio, en Australie, en France, en Allemagne. Un peu en Finlande,
un peu en Suède, un peu en Belgique et probablement bientôt
en Italie.
Ce travail s'est fait dans un studio qu'on appelle la colonne sèche
où il n'y a aucun écho.
J'avais demandé de mettre en parallèle 4 microphones. J'étais
enfermé dans le studio, et de l'autre côté de la vitre,
il y avait un nommé John Jones, un australien, un monsieur d'1m90,
mais un technicien de premier ordre. Et sur mes gestes, derrière
la vitre , je lui commandais la hauteur de son. Cette bande est faite
pour 32 hauts parleurs. Une voix humaine est régie par environ
une quarantaine de phonèmes. Lorsqu'on travaille une voix humaine,
comme c'est le cas ici avec des micros en série, avec un petit
micro qui rentre dans la bouche, nous arrivons à des variations
vocales de plus de 40000 variations, ce qui est énorme. C'est à
dire que tout l'aspect sémantique, comme la "lettre",
devant ce mouchard qu'est le microphone, disparaît.
Pour l'enregistrement, dont vous avez entendu un extrait, avec la complicité
de la radio australienne, nous sommes allés à Camberra.
Camberra c'est une ville (la capitale) de 300 000 habitants parce que
Sydney et Melbourne étaient en rivalité, en compétition
l'une contre l'autre. Si bien que leur querelle empêchait qu'il
y ait une capitale à Melbourne, où à Sydney. Ils
ont crée une capitale artificielle, où il y a une pièce
d'eau, une galerie et un musée (d'ailleurs remarquable) mais c'est
une ville morte.
Autour de Camberra il y a des montagnes, ou plutôt des collines
rouges. Ce sont les grandes réserves des kangourous (il y en a
plus de 200 sortes). Certains ont 20 cm, et d'autres 1m80. Ils sont très
passifs, ils sont très gentils d'ailleurs. Mais il y a aussi une
colonie considérable de hiélobiques, des perroquets jaunes.
Lorsqu'on a passé cet enregistrement dans les collines avec 64
hauts parleurs, plus de 500 perroquets ont été éffrayés.
Et en gueulant ils sont tous partis! Le concert était formidable,
Beethoven c'était de la cochonnerie à côté...
Là on avait le plein concert qui curieusement a été
repris par la radio australienne qui a une influence beaucoup plus grande
que Radio France.
L'Australie est un petit pays, c'est une grande île, mais de 18
millions d'habitants.
Par contre la radio touche la Tasmanie bien sûr, la nouvelle-Zélande,
les Philippines, Bornéo, ce qui vous fait un petit complexe d'environ
100 millions d'auditeurs. Compte tenu que certaines contrées comme
à Bornéo sont complètement orales et ont très
peu d'écritures... les Maoris de même. Ils ont des écritures
gréffées comme l'anglais mais pas originales. Ce sont des
langues orales. Or la sensibilité de ces gens-là par ces
travaux sonores et vocaux est absolument invraisemblable.
Un autre petit pays qui a les mêmes puissances que l'Australie,
c'est la Suède avec 8 millions d'habitants. La Suède, la
moitié, le Nord, le cercle polaire est presque inhabitable. Mais
la Suède, surtout lorsque c'était un pays neutre, touche
bien sûr la Norvège, le Danemark, la Finlande, les pays Baltes,
le Nord de la Pologne, le Nord de l'ex-Union Soviétique. Ce qui
faisait un petit complexe de 300 millions d'auditeurs. Alors que quand
je travaille à France Culture, j'ai 600 000 auditeurs. C'est pas
terrible... Quant à travailler en Angleterre, à la BBC,
comme ils n'ont pas d'argent, on n'y travaille pas.
Voilà donc cette pièce qui a été faite à
Sydney, et c'est une pièce parmi d'autres - d'ailleurs demain je
vous ferais des performances en direct avec les bandes magnétiques.
Maintenant, si vous avez des questions à poser quant aux origines,
je répondrais bien volontiers.
Pourquoi je suis arrivé, alors qu'au départ j'étais
poète et je le suis toujours, à cette déconnexion
par rapport à l'écriture et aussi à ce travail de
trouver les particules orales, écrites, parlées, avoir séparé
tous les domaines. Alors c'est à vous de poser des questions et
je réponds bien volontiers... Et si vous êtes gênés
je vais parler tout seul !...
(rires et silence)
Voilà d'abord une petite histoire.
En 1936 lors du Front populaire, j'étais frappé d'assister
à cette révolution où il y avait les croix des Croix
de feu, des fascistes qui se battaient avec les communistes, et la gauche
était très forte à cette époque... Et j'avais
14 ans, ça m'amusait beaucoup d'entendre ces clameurs parfois paysannes
parfois prolétaires, puisque ces mots avaient un sens, et à
14 ans je participais très très bien à ces sortes
de fêtes un peu violentes (avec mes frères d'ailleurs).
Et puis je trouvais malgré tout que ce côté "paysannerie
française", je vivais dans la banlieue de Paris -la campagne
à l'époque- avait un petit côté fête
du village, comme dans jour de fête de Tati si vous voulez... Et
lorsque je fus déporté en 43, ayant refusé, parce
que j'étais naïf, de travailler en disant aux Allemands "vous
m'avez déporté donc je ne travaille pas". Je ne savais
pas du tout ce que c'était que la force Allemande. Je leur disais
"si j'étais volontaire je travaillerais, je ne suis pas volontaire
donc je ne travaille pas". Jusqu'au jour où on m' a envoyé
dans un camp de redressement à Olomouk en Tchécoslovaquie,
ce qui fut une grande surprise. C'était à l'époque
un protectorat, après l'histoire des Sudettes, où l'Allemagne
avait envahie toute la Tchécoslovaquie en 1938. En 1939 il y avait
eu le pacte Germano-Russe ou Staline s'était amusé à
pactiser avec Adolf Hitler pour prendre la moitié de la Pologne.
Ce qui veut dire qu'à l'époque on avait un sens plus aigüe
de la politique, au moins quelques uns d'entre nous. Or en 1932, ou 33
en Tchécoslovaquie s'était créée pour les
jeunes gens une école qu'on appelait "les sokols" (les
faucons). C'était des jeunes gens qui étaient devenus des
athlètes, des gymnastes étonnants. Ils étaient formés
dès le collège aux grands défilés, qui plus
tard ont étés copiés par Hitler et Staline, et par
les communistes sous le nom de spartakiades.
Je découvrais avec ces jeunes gens de 18 à 23 ans une sorte
de fête gymnique absolument étonnante. Mais aussi avec une
utilisation du souffle et des respirations humaines. Lorsque je comparais
ce monde là avec mon monde français, je découvrais
de véritables athlètes et c'est pourquoi, encore de nos
jours, ils ont de très grands sportifs, bien que ce petit pays
ne fasse que 10 millions d'habitants. Voyez, il y a une formation dès
l'enfance pour arriver à cette chose là.
Ca c'était la première réfléxion que j'ai
pu avoir contre l'écriture littéraire. Après cette
histoire j'ai été condamné à la prison, etc..
j'ai été renvoyé en Prusse orientale sur la Baltique
et j'ai assisté à ce que les polonais et tchèques
ont appelé les marches de la mort : c'est à dire par -20,-30,-40°
tous les réfugiés allemands volontaires prisonniers, se
retrouvaient sur les routes pleines de neige òu l'on fuyait en
direction de la Russie; parce que de Prusse, de la baltique il était
impossible de rentrer en occident : il y avait l'armée allemande
en déroute, il y avait les américains, les allemands, les
volontaires, les traîtres etc... Et là j'ai assisté
à des choses absolument faramineuses; à savoir que l'armée
Russe, l'armée soviétique n'avait pas d'intendance parce
que Staline n'avait pas d'argent et avait très peu d'armement sauf
celui fourni par les anglais et les américains. Alors le seul moyen
que nous avions c'était de piller. Eh oui! Et l'armée rouge
avait ce génie de faire ce qu'on appelait des commandos, dans la
neige, qui étaient habillés en blanc, qui avaient des bottes
de feutre tandis que les allemands avaient les pieds gelés dans
leur chausures à leur pointure. Tandis que les Soviets avaient
des pieds énormes -d'ailleurs quand je suis rentré de Russie
j'avais des chaussures de 45, comme je marche en canard vous voyez le
spectacle, c'était superbe... Et alors dans ces commandos il y
avait toujours deux hommes et une femme. Et quand on était en dehors
des "grabens" (les tranchées) que les allemands, comme
des imbéciles avaient pu construire, l'armée rouge arrivait
comme un rouleau compresseur, attaquait, était repoussée
par les "grabens", et les commandos venaient et vidaient dans
les tranchées leurs mitrailleuses. C'était superbe, un spectable
sanglant ignoble, horrible, d'une cruauté sans égale, mais
quand on sortait du feu, qu'est ce qu'on avait ? le chant, la danse, un
peu l'amour parfois... Et c'est tout ce qu'on avait!...
Les allemands avaient fait la terre brûlée depuis Leningrad.
Il n'y avait pas de maisons debout, il n'y avait rien. On dormait dans
la neige; j'était réveillé à coups de bâton
d'ailleurs, parce que je m'endormais pour de bon. Et alors là c'était
rigolo parce que si l'armée rouge a perdu 22 millions d'individus
et les allemands 6 millions c'est qu'elle n'avait pas d'intendance, elle
n'avait rien.
Ils étaient dépenaillés, mais leur génie c'était
les bottes en feutre, les gants, et les chapeaux... Ah bien oui, une anecdote,
ils m'en ont donné un d'ailleurs! Et je me suis aperçu un
jour qu'il avait plein de poux. Alors je l'ai lavé dans de la neige
gelée. Mon chapeau est devenu tout petit...
Eh bien moi ces gens là, moi personnellement je les adorais parce
qu'ils savaient qu'ils allaient mourir en grand nombre, en très
très très grand nombre.
Mais ils avaient à l'époque, malgrè la dictature
de Staline une foi en leur pays (n'oubliez pas qu'à l'époque
il y avait très peu de radio, la télévision n'existait
pas, les informations n'étaient pas là !). Une telle fois,
que, goguenards, ils me regardaient en disant: "blenc franzusci ?"
(prisonnier français), "oui", "tu te souviens de
Napoléon comme il a perdu ?" - c'était leur raisonnement,
c'était très drôle. Et c'est à ce moment là
que j'ai eu le plaisir de chanter et danser avec eux.
Or, si on se souvient que ce pays - je n'ai pas eu d'expérience
occidentale, je n'ai pas vécu la libération française
- ce pays là me donnait des dimensions que je ne pouvais pas connaître
en Europe et particulièrement en France - bien que ce soit un grand
pays. A tel point que lorsque je suis rentré par le dernier bateau
- fin aôut 45 - alors que j'étais allé jusqu'au nord
à Mourmansk, la mer blanche d'abord, encore le froid... j'avais
l'impression de traverser la Seine d'un seul pas, tellement c'était
petit et minuscule; par exemple la Neva à Saint Petersbourg, c'est
deux fois plus large, comme le Danube.
Les torrents qui vont dans la mer blanche, il est très dangereux
d'y passer parce que vous ne pouvez pas revenir. Cette dimension là
a eu une influence considérable pour moi. A savoir que mes poèmes
me semblaient un peu réduits, que la dimension même de Baudelaire,
que j'adorais, me semblait un peu trop personnelle.
C'est ce qui m'a incité, à l'époque, à rechercher
des sons plus vastes, en commençant par l'écriture et j'écris
toujours. Mais des sons qui soient plus universels, d'autant plus que,
avec la compagnie de Mourmansk - donc au cercle polaire - c'était
une époque òu le français était encore une
première langue, c'est à dire que les personnes de 30 ans
étaient souvent francophones. Et j'ai pu assister à une
reconstitution d'une fête russe du 13ème siècle, on
n'est pas sûrs que ce soit le 12ème ou 15ème, mais
en tout cas c'est classé comme ça.
C'était une journée par an, comme avec les comédies
antiques; une seule journée où le parlé était
complètement libre chez les femmes et les hommes, où on
improvisait des sons onomatopéiques, des danses, des jeux, etc...
et à l'époque j'appris par un colonel et une capitaine de
l'armée rouge, une chose étrange : à savoir que dans
les tragédies grecques par exemple, si vous prenez les Grenouilles
d'Aristophane - eh oui ! - vous avez les phonèmes qui vous donnent
"breek, breek, cro-akss, cro-akss...
Dans le cirque grec, il y avait un soprano -voix aigue -, autour une dizaine
de voix plus graves et tout autour vous aviez une centaine de basses.
Vous aviez des pièces de théâtre dont on n'a conservé
que la trame écrite, des pièces d'une demie-heure d'écriture.
Cette époque n'avait pas de télé, pas de radio, même
pas d'imprimerie; autour il y avait la danse, l'amour, le combat, l'horreur.
Une pièce d'Aristophane, comme les Grenouilles durait 10h. Or le
langage zaoum du Caucase était dans la tradition des tragédies
antiques. Alors pour moi ce fut une sorte de révolution, parce
qu'à l'époque je ne savais pas comment faire. Il a fallu
attendre 48-52 pour avoir le transistor, pour avoir la télé
pour tout le monde, pour avoir la stéréo, les magnétos
à bandes qui n'étaient pas encore commercialisés.
Quand j'ai fait mes revues, c'était sur des disques mono qui sont
maintenant complètement dépassés, c'est normal.(2)
Je ne savais pas comment faire, d'un côté j'avais mon écriture
qui était faite pour le poète lui-même, qui parlait
de son ego, mais après mes expériences en Tchécoslovaquie,
en Russie et ailleurs, mon moi ne m'intéressait plus du tout, ce
qui m'intéressait c'était de trouver un langage qui put-être,
au-delà du poème, raconté pour soi-même, par
exemple quand un imbécile écrit "il est beau de courir
sur un sol usurpé", c'est dégueulasse, mais c'est Victor
Hugo! - eh je n'y peux rien... alors ce genre de poème, je trouvais
ça ignoble, si bien qu'un beau jour en 52, avant de partir en Indochine
comme volontaire, parce qu'après la mort de mes frères il
fallait se trouver un peu d'argent pour aider ma mère, j'ai pris
un sac, j'ai foutu tous mes poèmes dedans, je suis allé
à Boulogne Billancourt, et le long de la Seine j'ai tout brûlé!
Ce fut mon premier acte poétique. Ah! j'étais très
fier de moi (sauf une dizaine qui sont restés entre les mains du
tchèque Georges Lattal quand j'était en Tchécoslovaquie).
Et si je vous raconte cela, c'est que véritablement cet immense
pays m'avait ouvert et m'avait fait rechercher l'histoire des futuristes
russes. J'en parle dans le catalogue Poésure et Peintrie mais pas
dans tous les détails, et ce futurisme Russe (Maiakowsky, Khlebnikov
et Block...) envisageait de prendre le transsibérien de Saint-Pétersbourg
à Vladivostok (40 jours de train) avec des climats très
différents et de réciter de la poésie dans tous les
trains, avec pour seul chauffage l'éternel tchaï, le samovar,
le thé. Les locomotives étaient alimentées avec du
bois.
Or, en voyant la dimension extraordinaire de ce pays qui est le plus grand
du monde, le deuxième c'est le Canada, mais presque inhabitable,
je me suis dit qu'il fallait faire une poésie qui aille à
la rencontre de gens comme Maïakowsky. Et grâce aux soviétiques
je découvrais qu'un artiste raté nommé Staline, parce
qu'il a voulu être poète, s'est empressé dès
1924 d'écarter tous les futuristes russes qui étaient plus
avancés que les poètes futuristes italiens et polonais.
Il y avait des découvertes dans le langage qu'il faut absolument
connaître.
Voilà donc l'histoire de mon origine.
Après quoi, en 1955, j'ai été éducateur de
l'enfance inadaptée dans l'île de Ré; la communication
avec ces jeunes, parfois un peu difficile, exigeait parfois un travail
oral et mental qui était tout de même extrêmement intéressant.
Cette île fabuleuse qui était vierge à l'époque
(pas de touristes, pas de pont) avec des hivers aux vents très
violents, des étés brutaux, des chaleurs épouvantables...
Et là je tombe sur le marché de Saint Martin de Ré,
òu j'ai rencontré une mercière, en 55 qui avait un
petit magnétophone miniature et qui prenait ses commandes sur la
machine. Fasciné par cette bête à bande qui était
là, je lui ai emprunté son magnétophone, j'ai commencé
à lire mes poèmes. J'ai trouvé que ma voix était
intéressante mais que mes poèmes ne valaient pas un clou;
que c'était mauvais ! Alors au lieu d'être désespéré,
je me suis dit qu'il fallait savoir utiliser le mot, le son de la voix,
la voix. Et c'est à ce moment que j'ai été extrêmement
passionné par l'histoire des éléments et que j'ai
écrit à l'île de Ré "Pêche de nuit",
j'avais enregistré des noms de poissons (bar, loup de mer, muge,
mulet), mes mots onomatopéiques avec ces noms-là, c'était
un peu le début. Après quoi il a fallu aller au delà.
Dans le même temps les progrès techniques montaient montaient...
Et ces progrès ont fait que la Tchécoslovaquie fut accessible;
la radiophonie est devenue un art nouveau. Il était certain que
la musique éléctroacoustique, parfois froide, était
remarquable d'invention, que la poésie sonore arrivait au moment
où on se souvenait que nous avions à peu près 7000
ans d'oralité depuis les Etrusques pour trois ou quatre siècles
de poésie écrite qu'on nomme aussi littérature.
Pas de lien exclusif ni même absolument nécessaire entre
poésie et langage.
En découvrant ces sources inconnues des langages, nous avons plus
de 7000 ans de tradition orale qui n'ont pas été reconnues,
mais nous avons aussi plus tard, au moyen âge, le Grégorien
et un divorce entre les arts sonores, c'est-à-dire entre la poésie
et la musique... pour tomber ensuite dans les choses artificielles (par
exemple les livrets d'opéra) qui sont presque tous superficiels,
sauf lorsqu'il y avait une transcendance vocale inconnue comme avec Mozart,
dont on ne connait aucun secret. On chante sur la partition mais on sait
que Mozart ne suivait pas ses partitions, c'est tout ce qu'on sait...
Dans cet article paru dans la revue de l'Ircam, je met fin à ce
divorce musique/poésie.
Dans les années 80 il y eut ce gros livre sur la Poésie
Sonore grâce à Michel Giroud. Là dedans il y a énormément
de réponses - naturellement c'est moi qui l'ai écrit - mais
il y en a une qui devrait vous intéresser; elle est en anglais
parce que l'anglais est plus lu que le français. C'est une histoire
des sons enregistrés. Quelle surprise ! Vous n'apprenez pas ça
dans les écoles... Ca date de 3000 ans avant J.C. Ils n'étaient
pas gravés dans la cire, ils n'existaient pas; mais ça a
commencé aux Indes dans les chants, dans les danses, en Chine,
en Egypte, en Grèce, à Rome et en Scandinavie ainsi qu'en
Afrique. De quoi s'agissait-il ? Des enregistrements à eau et à
vent; par exemple dans le Tyrol j'ai vu un enregistrement à eau
qui descend d'une montagne pendant à peu près 30 mètres,
où on fait dégringoler l'eau rugissante, c'est du Stockhausen
réussi (rires). Je vous assure que c'est vrai! C'est quelque chose
d'étonnant. Donc depuis 3000 ans avant J.C jusqu'à maintenant,
on a tout à redécouvrir.. (5) Et c'est l'ouverture de ce
livre. Ensuite il y a tout ce qui s'est passé et j'ai appris beaucoup
de choses, aussi bien sur les phonétiques que sur les sonorités...
Moi je suis un vieux machin préhistorique et lorsque je l'ai publié,
c'était en novembre 79, et depuis 1980 il y a énormément
de jeunes qui travaillent avec ces nouveaux médias. En plus, il
y a des pays qui se sont libérés, comme l'Espagne après
la mort de Franco. Enfin libres, on peut faire ce qu'on veut. Comme l'ex-union
soviétique òu j'ai trouvé un travail considérable
à la fois pour le passé que pour le présent. Et j'ai
même trouvé une chanteuse mongole de la république
de Tuva, dans le sud de la Sibérie, à 15 km au nord de la
Mongolie. Cette femme chante sur 6 octaves. Elle a un registre vocal hérité
de ses parents qui étaient nomades dans ce coin là et marchands
de tabac.
Vous avez peut-être entendu les cris des vitriers qui jouent des
cordes vocales dans les rues, ça disparaît de plus en plus
d'ailleurs.
Mais ces choses là existaient dans ces pays. Cette chanteuse, Sainkho
Namtchylak, je l'ai découverte à Vienne et à Stockholm
ensuite à Valencia, et à Madrid j'ai trouvé une femme
qui s'appelle Fatimá Miranda. Très flamenco, coquette, très
olé olé; mais elle aussi a un registre vocal considérable,
elle travaille avec quelqu'un que vous connaissez ici : Llorenç
Barber, un compositeur espagnol.
Fatimá joue aussi de ses capacités vocales qui ont été
interdites par les franquistes. Ce travail là est devenu absolument
international. Lorsque je parle de ces souvenirs et bien je parle de tout
un monde épanoui dans le monde entier qui n'a plus de frontières.
Et voilà comment les choses se passent...
Entretien avec Michel Giroud :
M.G. : connaissais-tu en 1956 les poèmes répétitifs
du Cabaret Voltaire à Zurich de 1916-17 par Tzara et Ball ?
H.C. : Non, non pas du tout.
M.G. : Tu as dépassé le poème normatif et tu es arrivé
aux expériences minimales du Cabaret Voltaire par toi-même.
Eux ont commencé à cette époque là, et toi,
tu as utilisé les micros.
H.C. : Oui, j'ai travaillé avec le micro et j'ai découpé
des lettres : le R de rouge par exemple, comme le GE, se sont des valeurs
phonétiques. Et j'étais très surpris de le réentendre
aujourd'hui, parce que c'est la première fois depuis 56... J'étais
pas mal! Pour moi c'est étonnant.
M.G. : Oui c'était pas mal du tout, étant donné que
c'était un micro de 56 qui n'était pas non plus exceptionnel.
H.C. : Je vais vous raconter une histoire qui m'est arrivée en
Indochine en 49 à Niatrang. J'ai assisté à une
danse qui durait 8 heures accompagnée d'une sorte de sitar à 13
cordes, il y avait une danseuse très belle, immobile, en costume
du lieu. Et seuls les yeux tournaient avec le son. J'étais le
seul européen
à rester là pendant 8 heures, étonné. Comme
je ne connaissais aucun mot, je n'ai pris aucune note, mais c'est resté
en mémoire. Et c'est aussi contre ce silence étonnant,
cette danse hiératique que j'ai eu envie d'aller vers le son,
encore plus loin. Les influences sont chez moi d'Europe Centrale et
d'Extrême-Orient.
M.G. : (à l'assemblée) : l'expérience qu'il fait
dans l'énorme espace de l'est, est une expérience analogue
à celle des américains dans l'énorme espace américain
ou canadien. En effet, ses amis américains qui ont découvert
aussi l'espace sonore et la poésie sonore sont des gens qui vivent
dans un énorme espace avec les vents et les élément
naturels. Henri Chopin est l'un des rares en Europe avec Varèse,
qui ait la conscience de l'espace-sonore.
Et c'est étonnant que tu n'aies pas parlé à ce propos
des aborigènes d'Australie qui ont 40000 ans. Peut-être
que tu ne les a pas rencontrés ?
H.C. : Oh! j'ai fait une connerie avec eux, à Melbourne; j'ai
fait une blague dans un théâtre, il y avait une femme
assise, aborigène, très belle, avec son nez très
large; et je lui ai caressé le front (tout simplement, par bêtise,
par ignorance). Il y avait son monsieur à côté et
il n'était pas content du tout... Alors tous les aborigènes
sont partis, mais avec leur téléphone aborigène,
ils sont venus me rencontrer à Sydney, avec une tribu de
55 aborigènes.
Ça c'est passé au musée de Sydney. On avait le grand
hall avec 3000 personnes et les aborigènes ont été
extrêmement sensibles à ce travail vocal. Et après
ma bêtise de Melbourne, j'ai été très discret
avec les dames et là, ça a été une communion
étonnante...
M.G. : On a vu qu'en 52 tu avais pris conscience qu'en occident il y
avait tout de même quelqu'un qui avait ouvert cette porte car
il n'y avait pas Dada à cette époque dans ta connaissance,
mais tu as rencontré Isou, à travers son film "Traité de
bave et d'éternité".
H.C. : Dans ce film qui ne m'intéressait pas tellement je découvris
la voix de François Dufrêne que je ne connaissais pas : une
voix projective, lettriste à l'époque, qui n'avait aucun
sens, sinon de suivre les lettres, mais une telle générosité
timbrale que c'était fabuleux.
M.G. : Et Dufrêne avait alors 22 ans...
H.C. : et donc pour moi, ça a été une découverte.
Et un peu plus tard j'ai rencontré en 53 l'ennemi juré d'Isou,
Altagor, l'inventeur de la métapoésie qui suivait Lautréamont
et Nietszche. C'était une des plus belle voix que j'ai connues
et je vais vous raconter une petite histoire toute bête: je l'ai
fait rentrer comme éducateur, alors qu'il était un petit
peu "dérangé" disons, avec des gros caractériels,
à côté de Compiègne. Il a été foutu
à la porte après trois mois. Mais sa voix avait à
la fois des stridences et des basses et il lisait sa métapoésie
devant ces jeunes gens déjà un peu troublés. Il y
en avait un de 13 ans qui était sourd pathologiquement, battu depuis
l'enfance. Il s'était fermé au monde extérieur et
les premiers sons qu'il a pu entendre se trouvaient dans les valeurs vocales
d'Altagor; ce sourd pathologique a entendu pour la première fois
de sa vie; deux ans après, il a eut un CAP, maintenant il est ostréiculteur
à l'île de Ré; il est patron. Comme quoi cette histoire
onomatopéique et vocale peut avoir des incidences étonnantes.
C'est pourquoi, dans les pièces antiques, il y avait une sorte
de génie universel. La Comédie Française est une
erreur qui casse tout le jeu théatral qu'il pouvait y avoir dans
l'antiquité. Pour donner une preuve, prenez le théâtre
romain d'Orange, il est circulaire. Pensez que, au centre il y avait les
sopranos et les basses autours, toute cette cuvette est formée
comme une chambre d'echo; avec les baffles, le même principe est
retenu pour avoir le son qui s'émet dans tous les espaces. Donc,
on peut supposer que les anciens avaient les secrets de l'art acoustique.
Pour moi qui suis de la première génération de ces
travaux sonores, beaucoup nous disaient que nous étions des gens
d'avant-garde comme les futuristes et les dadaistes, alors qu'en fait
c'était l'interrogation de tous les âges; c'est ce qui m'a
conduit à faire un livre là avec le médiéviste
Paul Zumthor où j'ai composé chacune des lettres de l'alphabet...
(Il lit le texte du livre "Riches heures de l'alphabet") :
fausse fortune
fragile fantastique
folle fumeuse folliant follatique
favorisant, follâtre follement
furieuse femme furibondique
faisant frémir felloneux fortifique
fortifiant faintif, fausse faussement
feu flamboyant foudroyant fièrement
félicité faillant fièrement
ferme fierté
fâcheuse falsifique
fânée fleur, faillible faillement
facille fin, frauduleusement fondement
de toi se plaint la totale fabrique...
C'est d'un certain Jean Boucher, publié en 1500. Le langage onomatopéique
touchait aussi les grands rhétoriqueurs. C'est pourquoi j'ai été
présenté récemment par Arlette Albert-Birot comme
un classique...
J'ai donc composé les lettres, puis j'ai écrit sur chacune
un commentaire. J'ai fait des photocopies du tout et j'ai envoyé
ça à mon ami Paul Zumthor à Montréal. Et lui
a recherché l'origine des lettres que personne ne connaît
! Qui a gravé ces lettres ? On ne sait pas. Qui a formé
toute cette architecture des lettres ? On ne sait pas non plus. On ne
sait rien sur le passé. Et maintenant on retourne, grâce
aux expériences du 20e siècle, vers cette entité
que forme les langages. A Valence, à Madrid et à Stockholm,
j'ai rencontré un artiste japonais de la performance, Seiji
Shimoda. Je l'ai vu en Espagne dans un couvent de plus de 800 personnes;
son truc c'est "on the table".
Il est très grand, il est très beau, quand il est habillé
il est très laid. Mais quand il est tout nu il est très
très beau! Il a mis des micros autour de la table et il danse
tout autour de la table sans poser le pied par terre; on entend juste
le travail Zen de son corps nu qui tourne autour de la table, qui est
petite. Sa performance dure environ 40 minutes. Le corps s'épuise
peu à peu avec la respiration, qui augmente, augmente, augmente;
ça devient une rumeur qui couvre la salle, òu il n'y a
plus de parole; il n'y a plus que la beauté de ce japonais. Et
dans la salle de 800 personnes, je vous assure qu'aucun n'a pensé à
tousser, à quitter la salle, à protester. Nous avions la
rencontre, en Espagne, d'une civilisation japonaise avec l'Occident.
Une fascination qu'aucun théâtre ne peut donner. C'est
la première
fois que je fais rentrer dans mon livre un japonais qui n'a pas écrit
un mot et qui se trouve très proche de la poésie sonore
parce que c'est de l'expression corporelle.
La grande différence qu'il y a, c'est qu'avec les anciens, comme
à l'époque futuriste ou dadaïste, ils étaient
encore oraux, ils étaient encore sur la scène, même
si, par exemple, Yvan Goll voulait y mettre du cinéma. On pensait
encore à l'époque que le sang humain était une
valeur. Maintenant on sait que dans le sang, grâce aux microscopes,
on a des milliards de cellules, comme on sait que dans la respiration,
dans la voix, dans l'expression corporelle, on a des milliards de
possibilités.
Et le musicien Peter Schendick a dit : "Henri Chopin, un des pionniers
et témoin de l'aventure de la poésie sonore, tourne le
dos au bâtiment du verbe, à la sévère sémantique,
pour observer et faire vivre le gouffre de milliards de cellules phonatoires."
Nous sommes en plein vertige. C'est à dire que, pour des compositeurs
jeunes comme Marc Battier je suis un primitif. Ce qui est normal! Et
je suis ravi de ne pas jouer le poète prophète, l'anachorète
sur le sable. Parce que le poète-poète est toujours dépassé,
comme le musicien.
M.G. : Quelle place laissez-vous au sens, dans vos poèmes...?
H.C. : Eh! bien je vais vous lire un petit truc... Ayant séparé
chacune des lettres de la sémantique et du phrasé, je me
suis permis de faire ceci : en prenant chaque lettre je me suis aperçu
qu'il y a le + et le - le yin et le yang ... avec le "J" vous
avez la joie, vous avez le morbide avec le néant; donc j'ai joué
sur cette balance entre les deux sens.
Je vous lis la consonne "J":
Elle jase de s'éjarter
Elle s'élève de ses jours
Elle jase ses os
Elle jeûne ses appels
Elle souffle ses jours
Elle jase ses paroles
Elle jacquasse ses jadis
Elle juppe et aboie après ses jardons
Comme un homme politique
Elle joquisse puisse encore le nier
Elle jarête la jambe femme
Elle est le jean, foutre du je.
Elle jette le jésuite
Elle s'en donne à coeur joie
Elle justice ses jurés
Elle jaspine jour et nuit
Elle jaillit dans l'égo
Elle est la japonaise commerciale
Elle.... par dessus la jambe
Elle jacquette le torse
Elle jauge votre maison pour y entrer
Pour s'y jenter elle-même
Elle est puissive à s'y rendre pénible
Elle est juge parlant de son jules
Inquisitrice, elle vous crochète de son hameçon
Vous balançant dans son jusant
Joie de la joie je ne voyais de joie
Joie de jeu
Jeu de joie
de la joie du jeu du jeu de la joie
Joie de réussir joie de ... la joie
De roucouler de joie de danser de joie
De joie tous les J J J J J...
Ö jouissive de joie pour le jeu à joie de la fille de joie
Sur l'extase jouissante grisant l'entrain vers joie
N'en plus finir de joie
Extase de la joie
La voix de la joie vous en renvoie
La joie qui fut le pavois, des rois, conniçois, sur des lois
Et la joie n'en finissais pas
Elle joue et saintement jacquassa jour J de joie du poussa juron ...
Si vous voulez je m'amuse sur les lettres et sur le langage. Je choisis
le son, l'ironie et le jeu.
Michel Giroud : Comment as-tu découvert le dactylo-poème
? Connaissais-tu le dactylo-poème futuriste de 1919-20, publié
dans la revue hollandaise De Stijl ?
H.C. : Je suis arrivé au dactylo-poème en tapant sur ma
machine avec deux doigts, en 53, ça m'amusait... Je ne savais rien
des dactylo-poèmes futuristes. J'ai juste vu une page d'Ilyazd
en Russie, en 1949. J'avais une petite machine portative; au début
c'était des mots, comme rouge, rouge, mais à la machine.
Ce qui me plaisait avant toute chose c'était la sonorité
de la machine à écrire.
M.G. : Alors dis-nous comment tu es arrivé à supprimer
le mot dans les dactylo-poèmes, car ce sont maintenant des tableaux
à lettres, donc muets. Henri Chopin a, de par son expérience,
par sa propre découverte personnelle, en fait," tout "redécouvert
à partir de sa culture (sans les ressources des avant-gardes Occidentales).
Après, en 58, il rencontre Michel Seuphor, qui a maintenant 94
ans - c'était l'ami de Mondrian. Poète et artiste il
est le plus grand témoin du siècle encore vivant : il
a fondé
une revue en 1920, Het Overzicht (Panorama), qui réunissait toutes
les avant-gardes de son époque, à Anvers.
Seuphor a été le premier relais, Chopin fut le second, ça
il ne faut pas l'oublier. En dehors de son travail vocal et de ses dactylo-poèmes
Chopin a une troisième qualité: il dirige une revue de recherches
en 1958, 5ème saison qui devient en 1964 la célèbre
revue internationnale OU (avec sérigraphies et disques).
H.C. : En 60, je rencontre Michel Seuphor à l'occasion d'une exposition
à la galerie Denise René à Paris; j'avais trouvé
ses dessins à lacunes, des lignes tracées, des formes géométriques
intéressantes; je lui avais demandé un poème pour
la revue cinquième Saison, qu'il a envoyé bien gentiment.
Un an après je rencontre Pierre Albert- Birot, un ami d'Apollinaire
qui, dans sa revue SIC (en 16-19), avait publié un numéro
d'hommage à Apollinaire. Albert-Birot m'envoie aussi un poème
que je mets en typographie; je lui envoie un numéro de la
revue; je reçois une lettre d'engueulade qui disait que
je ne savais pas du tout mon travail, que c'était absolument
lamentable, qu'il
était furieux de m'avoir fait confiance! Au lieu d'être
malheureux, j'ai commencé à chercher à connaître
mieux Albert Birot, qui est mort en 1967 à 91 ans. C'était
une histoire singulière. Il a été l'élève
de Maurice Denis, peintre et sculpteur de la fin du siècle dernier.
C'est à quarante ans qu'il a commencé à écrire
sa poésie. Contrairement aux calligrammes d'Apollinaire qui étaient
manuscrits, les siens étaient typographiques. Il les faisait
dans sa chambre sur une petite machine à écrire circulaire
et il composait sa revue et ses travaux avec une fantaisie mécanique,
absolument rythmique et parfois cubiste. Et ce Pierre Albert-Birot
a eu une influence considérable pour les recherches des lettres.
Ce qui me passionnait, c'est qu'ils ont publiés ensemble
en 1917, les Mamelles de Tirésias d'Apollinaire; avec comme
sous titre "drame
surréaliste" (que Breton a repris en 1924, comme emblême
du surréalisme). Breton n'a jamais voulu de lui dans le mouvement
surréaliste.
M.G. : Donc SIC, la revue qu'il fonde, la plus importante en France des
années 20, poursuit le travail d'Apollinaire de la revue Les
soirées
de Paris (1912-14), signifie Sons, Idées, Couleurs; c'est le refus
de la séparation des genres.
H.C. : Cette revue fut publiée sur un papier de guerre en 1916,
elle vaut aujourd'hui une fortune.
M.G. : avec SIC, avec la revue Nord-sud de Pierre Reverdy, on voit le
cheminement de ces poètes, qui étaient des typographes,
avaient le souci du papier, de la lettre, de l'impression, et le souci
de la matérialité du langage.
H.C. : Tout le 20e siècle, et même avant, en Hongrie, Bulgarie,
Tchécoslovaquie, dans les pays Baltes, on reconnaît le rôle
moteur de la France. A commencer, à la fin du siècle passé
avec les Zutistes, dont Charles Cros était l'animateur principal.
Avec la complicité de Verlaine ("de la musique avant toute
chose"), de Rimbaud et Germain Nouveau, ils abandonnent l'écriture
- on vient de retrouver deux lettres de Rimbaud à Verlaine disant:
"je ne peux aller plus loin...". Ce qui serait, peut-être,
une explication à son départ en Abyssinie.
J'ai parlé à France Culture d'un autre inconnu : René
Ghil mort en 25, il prédisait à la fin du siècle
dernier qu'il n'y aurait plus de poésie discursive, mais l'utilisation
des machines phonétiques. Tout cela a une très grande influence,
d'abord à partir de 1909, sur les futuristes, puis en 1915 sur
les dadaistes, et sur Breton et son équipe. A-BIROT avait déja
publié 3 mois avant la revue dada, Cabaret Voltaire, dans sa revue
SIC, Apollinaire, Breton, Reverdy, Tzara, Severini mais il avait refusé
Marinetti malgrè l'importance de son travail et de ses opinions
politiques. Et alors il a crée une revue où il n'y avait
pas 5% de déchets, avec très peu de moyens, il était
chassé par tout le monde par jalousie. Alors ce bonhomme-là
a dû vendre à partir de 1625 ou 26, sa revue SIC, invendue,
au poids du papier. Et du fait qu'il m'ait engueulé pour un poème
mal édité, j'ai cherché à mieux le connaître.
J'ai commencé par faire des expositions pour vendre ses bouquins
de luxe pour qu'il ait quelque chose à lui. Et curieusement, les
jeunes gens de mon âge achetaient tout, même à des
prix très forts.
M.G. : Le théâtre de l'absurde c'était entre lui et
Yvan Gol (qui a beaucoup travaillé avec Abel Gance).
Claire Gol est devenue l'amante de Rainer Maria Rilke dont elle a eu un
enfant .
La génération de Arp, Marcel Khan, Yvan Gol était
alsacienne mais de langue allemande (nés après 1911) et
sur l'histoire du dadaisme à Zurich, c'était formé
par des poètes de langue allemande déserteurs, ou des roumains
déserteurs de la Roumanie qui était déjà alliée
à l'Allemagne. Seul blessé de guerre : Hans Richter.
Le dadaisme s'est fondé à Zurich par des déserteurs,
aujourd'hui des réfractaires, des insoumis, des objecteurs. L'ART
ANTI-ART, en dehors de P.A.B qui pendant dix ans m'a raconté à
ses anniversaires qu'il avait 78 ans, j'appris à sa mort qu'il
en avait 91... Et bien il a été réformé en
14-18 car trop malingre, trop petit. On vient d'éditer GRABINOULOR
(ed. Jean Michel Place), roman de 900 pages qui ont mis 60 ans pour
sortir. Il s'agit d'un récit continu sans ponctuation.
Et comme par hasard, les innovateurs (psytakiltes ou perroquets) sont
toujours liés à la très ancienne tradition. Et P.A.B
écrit dans le manifeste de 77 : "je suis pour la tradition contre
la tradition; il y a deux traditions : celle de l'innovation et celle
des conservateurs depuis 7000-10000 ans..."
H.C. : Si vous voyez la courbe poétique, on sait que l'époque
médiévale (contrairement à ce que l'on enseigne)
était beaucoup plus libre que les églises du XIX et du XX
siècles. On sait que dès Machaut, il y avait une recherche
des langages avant la musique. On sait que des classiques sont venus,
ont mis de l'ordre, Malherbe en tête. Les classiques se sont rendus
au romantisme qui a commencé en allemagne bien avant la france
et en angleterre.
M.G. : les romantiques romans au moyen-âge - non sentimentals.
Après
les romantiques arrivent Baudelaire, une magie d'écriture, puis
les décadents; a commencé par un jeune mort à 32
ans travaillant surtout à Berlin mais écrivant en français
: Jules Laforgue qui se fout de la gueule de Shakespeare qui fait
un Hamlet bidon avec un seul récitant. Et c'est une valeur
en soi tout à
fait considérable parce que c'est un des protagonistes de ce qu'on
appelle le "vers libre"; c'est à dire que la prosodie
dite traditionnelle était niée, qu'elle n'existait plus.
Dans la même foulée paraissent les ZUTISTES et tout l'éclatement
du XXème siècle qui est aussi riche que la renaissance
mais plus universelle à cause des médias, alors que,
encore maintenant, on n'a pas fait le tour de la renaissance. Le
poème de J.Boucher
avec le "f", que j'ai lu tout à l'heure, c'est Zumthor
qui l'a redécouvert.
Zumthor a publié aussi un livre concernant les rhétoriqueurs;
c'est l'un des plus importants médiéviste aujourd'hui
dans le monde (il vient de mourir), il a écrit 10 livres fondamentaux.
C'est le seul médiéviste qui avait des oreilles d'élephant,
il a rencontré Chopin et il dit que ce dernier serait l'un
des articulateurs du nouveau moyen-âge, donc une plus large
ouverture et non pas un amoindrissement. L'avant-garde ne serait
pas l'amoindrissement (la théorie positiviste du progrès)
mais par contre une ouverture généralisée à l'ensemble
de la mémoire;
tout à fait une autre histoire... D'òu les problèmes
des écoles d'art... Vous devez faire un double effort colossal
afin de remonter dans les deux sens... c'est-à-dire, les moyens
actuels et ceux de l'an 1000, 7000 et -40000
(silence)
SEUPHOR...
Il a été l'introducteur en France, après 25 ans de
refus, de Mondrian (premier livre en 58 : Mondrian). Mondrian qui a vécu
20 ans en France a été expulsé à cause des
surréalistes.
QUESTION : Est-ce qu'il avait un rapport avec les théosophes ?
M.G. : non, non pas du tout... il était aussi ami de Seuphor. Qu'est-ce
que t'apporte Seuphor?
H.C. : Il m'a enseigné le XXème siècle et m'a encouragé
à voir les témoins qui restaient du XXème siècle,
et avec lui j'ai connu Marcel Janko. Ces gens-là, ont tous eu des
destinées épouvantables... Classés artistes dégénérés
d'un côté et ensuite persécutés comme Otto...
ensuite mouchardés. Je peux citer un cas concret : parmis les dadaïstes
en 1916 à Zurich se trouvait Marcel Janko, un architecte qui avait
fuit son pays, la Roumanie, et était venu se fixer en France (il
parlait d'ailleurs beaucoup le français). Il y eu l'invasion de
1940 et il s'est enfui d'abord en Turquie et en 41 il s'est réfugié
en Israël òu il n'avait aucune commande d'architecte et pas
d'argent. Alors, il a eu une idée géniale; il a crée
un village à 60 km de Tel Aviv qui s'appelle Aenod, et ce village
était un village d'artistes, Israël invitait des artistes
de renom mais surtout des peintres et des sculpteurs à trois exceptions
près; Seuphor pour ses poèmes (mais fâché avec,
Janko n'y est pas allé), Hans Harp pour ses poèmes (on ne
le connait pas comme poète pourtant très très bon
et qui écrit en trois langues) et puis moi. Et il est resté
jusqu'à sa mort en Israël dans l'incapacité de parler
Hébreu; donc il était très isolé et eu une
fin de vie misérable et pauvre, sa peinture s'en est ressentie.
Pour vous donner un idée de Janko c'est lui qui a crée les
reliefs en plâtre en 1916-18, il en reste une douzaine qui valent
une fortune. Il était marié à une femme qui avait
un nez énorme, qui était la soeur de Jacques COSTINE qui
a fait la revue en 1919-22 a Bucarest "CONTIPARANULL" LES CONTEMPORAINS,
et le géneral Urmuse s'est suicidé en 25 car le gouvernement
le considérait comme un râté, et Costine a eu une
fin de vie épouvantable car il était juif-roumain, communiste,
à l'époque où il était refusé en Roumanie.
Le frère de Costine était ministre et pour punir Jacques
on les a enfermés tous les deux et on a pendu le frère pendant
8 jours, ensuite on a mis à la porte Costine de Roumanie grâce
à la défense de Ionesco.
Voyez, toute cette génération a été persécuté
d'abord par le nazisme puis par le stalinisme et aussi par vichy, d'òu
le départ de Mondrian à New-York òu il est mort
dans une pauvreté absolue (pour vivre, il dessinait des fleurs
qu'il vendait car il n'a jamais vendu une peinture de sa vie). Et ce
sont ces gens-là qui m'ont appris le XXè siècle
et le point d'orgue m'a été donné par Zumthor
qui m'offrait un regard encore plus universel.
M.G. : Et le troisième témoin, celui que tu rencontres par
lettre, c'est Raoul Haussman.
H.C. : Alors Haussman était persécuté lui aussi,
c'est le seul dadaïste qui est resté dadasophe jusqu'à
la fin de sa vie (mort en 71 en exil à Limoges ). Alors, j'allais
chez le dadasophe, il parlait français, anglais et naturellement
allemand et dès janvier 1933 dit à sa femme" foutons
le camp", l'antisémitisme est partout. Sa femme ne voulait
pas et il détestait sa femme jusqu'à la fin de ses jours
pour ça d'ailleurs. Et puis Raoul est parti à Ibiza òu
il a fondé une centrale dadaïste avec un seul membre: lui-même
.
Pas de chance, Franco est arrivé et en 36 il a fuit Ibiza à
cause du franquisme et il s'est caché à Limoges grâce
à l'intervention du diplomate suèdois qui lui a trouvé
un appartement à Limoges. Et là, la solidarité entre
les artistes jouant, il y a un monsieur qui gagnait beaucoup d'argent
mais qui le refusait, Arp, qui a payé le loyer en disant à
Raoul : "quand tu seras riche, tu me le rendras" mais il est
mort avant...
Et puis, Raoul était un caractère entier; j'avais publié
dans une revue flamande un texte parlant de la première génération
de Haussman et autres ("la table ronde de Paul Devree "). Et
puis montrant que ces gens-là étaient des primitifs qui
n'y comprenaient rien, qu'il y avait de nouvelles machines de nouveaux
médias etc... (tout ça en 1964 ) alors, il m'a envoyé
une lettre d'injures et a écrit à tous ses copains que j'était
un salaud... Puis, en 1968, j'ai eu des démélés avec
la radio française, ma femme anglo-française aussi, et on
est parti. Raoul apprenant la chose m'envoie une lettre de félicitations
(en 68 il était presque aveugle). Il défilait dans Limoges
avec une pancarte : "a bas de gaulle "!. L'homme était
absolument délicieux! On est devenus très très
amis.
M.G. : 170 lettres, à peu près, qui seront peut-être
publiées un jour...
Haussman - Chopin, l'histoire de leur histoire. Premier disque en 1964
dans la revue OU (première revue-disque), il publie le premier
disque de Haussman. Maintenant il manque ça : une nouvelle revue
avec vidéo, cd rom, sérigraphies etc ...
Fin
de la conférence.
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