Henri CHOPIN


trop blanc ¿ > conférence blanc sur noir


CONFERENCE DONNEE A L'ECOLE DES BEAUX-ARTS DE BESANCON 02/02/95.
proposée et présentée par Erratum Musical [Giroud, Montessuis, Etienne, Handa]

- Audition d'une pièce de 1991 sur une compilation australienne -

Bon.. alors je vous explique comment cette chose s'est faite.
Tout d'abord une anecdote. Quand j'étais enfant, j'ai refusé de faire le conservatoire, parce que je pensais que ce serait ridicule d'être dans un conservatoire avec mon nom.
Mes petits camarades se fichaient de moi, parce que bien sûr tu viens là parce que tu t'appelles Chopin...

Nous étions trois frères, mon ainé c'était Chopin, moi j'étais la Chopine et mon jeune frère, la Chopinette. Situation insoutenable et vivre ça dans un conservatoire à 7/8 ans c'était insupportable. Avec la bonne raison que je ne sais pas lire une note musicale. Et il se trouve pourtant que parmi les poètes sonores de la première génération, je suis le seul à être dans le domaine musical. J'ai pu collaborer avec Pierre Mariétan, un Suisse, avec Sten Hanson, un Suèdois, et bien d'autres... Je suis né en 22, donc bientôt après Waterloo et De Gaulle, le 18 juin 1995 j'aurais 73 ans...ça va vite!...
L'enregistrement de 1991, publié dans une compilation australienne a été fait au studio ABC Radio à Sydney. Je suis producteur radio, en Australie, en France, en Allemagne. Un peu en Finlande, un peu en Suède, un peu en Belgique et probablement bientôt en Italie.

Ce travail s'est fait dans un studio qu'on appelle la colonne sèche où il n'y a aucun écho.
J'avais demandé de mettre en parallèle 4 microphones. J'étais enfermé dans le studio, et de l'autre côté de la vitre, il y avait un nommé John Jones, un australien, un monsieur d'1m90, mais un technicien de premier ordre. Et sur mes gestes, derrière la vitre , je lui commandais la hauteur de son. Cette bande est faite pour 32 hauts parleurs. Une voix humaine est régie par environ une quarantaine de phonèmes. Lorsqu'on travaille une voix humaine, comme c'est le cas ici avec des micros en série, avec un petit micro qui rentre dans la bouche, nous arrivons à des variations vocales de plus de 40000 variations, ce qui est énorme. C'est à dire que tout l'aspect sémantique, comme la "lettre", devant ce mouchard qu'est le microphone, disparaît.

Pour l'enregistrement, dont vous avez entendu un extrait, avec la complicité de la radio australienne, nous sommes allés à Camberra. Camberra c'est une ville (la capitale) de 300 000 habitants parce que Sydney et Melbourne étaient en rivalité, en compétition l'une contre l'autre. Si bien que leur querelle empêchait qu'il y ait une capitale à Melbourne, où à Sydney. Ils ont crée une capitale artificielle, où il y a une pièce d'eau, une galerie et un musée (d'ailleurs remarquable) mais c'est une ville morte.
Autour de Camberra il y a des montagnes, ou plutôt des collines rouges. Ce sont les grandes réserves des kangourous (il y en a plus de 200 sortes). Certains ont 20 cm, et d'autres 1m80. Ils sont très passifs, ils sont très gentils d'ailleurs. Mais il y a aussi une colonie considérable de hiélobiques, des perroquets jaunes. Lorsqu'on a passé cet enregistrement dans les collines avec 64 hauts parleurs, plus de 500 perroquets ont été éffrayés.
Et en gueulant ils sont tous partis! Le concert était formidable, Beethoven c'était de la cochonnerie à côté... Là on avait le plein concert qui curieusement a été repris par la radio australienne qui a une influence beaucoup plus grande que Radio France.
L'Australie est un petit pays, c'est une grande île, mais de 18 millions d'habitants.
Par contre la radio touche la Tasmanie bien sûr, la nouvelle-Zélande, les Philippines, Bornéo, ce qui vous fait un petit complexe d'environ 100 millions d'auditeurs. Compte tenu que certaines contrées comme à Bornéo sont complètement orales et ont très peu d'écritures... les Maoris de même. Ils ont des écritures gréffées comme l'anglais mais pas originales. Ce sont des langues orales. Or la sensibilité de ces gens-là par ces travaux sonores et vocaux est absolument invraisemblable.

Un autre petit pays qui a les mêmes puissances que l'Australie, c'est la Suède avec 8 millions d'habitants. La Suède, la moitié, le Nord, le cercle polaire est presque inhabitable. Mais la Suède, surtout lorsque c'était un pays neutre, touche bien sûr la Norvège, le Danemark, la Finlande, les pays Baltes, le Nord de la Pologne, le Nord de l'ex-Union Soviétique. Ce qui faisait un petit complexe de 300 millions d'auditeurs. Alors que quand je travaille à France Culture, j'ai 600 000 auditeurs. C'est pas terrible... Quant à travailler en Angleterre, à la BBC, comme ils n'ont pas d'argent, on n'y travaille pas.
Voilà donc cette pièce qui a été faite à Sydney, et c'est une pièce parmi d'autres - d'ailleurs demain je vous ferais des performances en direct avec les bandes magnétiques.
Maintenant, si vous avez des questions à poser quant aux origines, je répondrais bien volontiers.

Pourquoi je suis arrivé, alors qu'au départ j'étais poète et je le suis toujours, à cette déconnexion par rapport à l'écriture et aussi à ce travail de trouver les particules orales, écrites, parlées, avoir séparé tous les domaines. Alors c'est à vous de poser des questions et je réponds bien volontiers... Et si vous êtes gênés je vais parler tout seul !...

(rires et silence)

Voilà d'abord une petite histoire.
En 1936 lors du Front populaire, j'étais frappé d'assister à cette révolution où il y avait les croix des Croix de feu, des fascistes qui se battaient avec les communistes, et la gauche était très forte à cette époque... Et j'avais 14 ans, ça m'amusait beaucoup d'entendre ces clameurs parfois paysannes parfois prolétaires, puisque ces mots avaient un sens, et à 14 ans je participais très très bien à ces sortes de fêtes un peu violentes (avec mes frères d'ailleurs).
Et puis je trouvais malgré tout que ce côté "paysannerie française", je vivais dans la banlieue de Paris -la campagne à l'époque- avait un petit côté fête du village, comme dans jour de fête de Tati si vous voulez... Et lorsque je fus déporté en 43, ayant refusé, parce que j'étais naïf, de travailler en disant aux Allemands "vous m'avez déporté donc je ne travaille pas". Je ne savais pas du tout ce que c'était que la force Allemande. Je leur disais "si j'étais volontaire je travaillerais, je ne suis pas volontaire donc je ne travaille pas". Jusqu'au jour où on m' a envoyé dans un camp de redressement à Olomouk en Tchécoslovaquie, ce qui fut une grande surprise. C'était à l'époque un protectorat, après l'histoire des Sudettes, où l'Allemagne avait envahie toute la Tchécoslovaquie en 1938. En 1939 il y avait eu le pacte Germano-Russe ou Staline s'était amusé à pactiser avec Adolf Hitler pour prendre la moitié de la Pologne. Ce qui veut dire qu'à l'époque on avait un sens plus aigüe de la politique, au moins quelques uns d'entre nous. Or en 1932, ou 33 en Tchécoslovaquie s'était créée pour les jeunes gens une école qu'on appelait "les sokols" (les faucons). C'était des jeunes gens qui étaient devenus des athlètes, des gymnastes étonnants. Ils étaient formés dès le collège aux grands défilés, qui plus tard ont étés copiés par Hitler et Staline, et par les communistes sous le nom de spartakiades.
Je découvrais avec ces jeunes gens de 18 à 23 ans une sorte de fête gymnique absolument étonnante. Mais aussi avec une utilisation du souffle et des respirations humaines. Lorsque je comparais ce monde là avec mon monde français, je découvrais de véritables athlètes et c'est pourquoi, encore de nos jours, ils ont de très grands sportifs, bien que ce petit pays ne fasse que 10 millions d'habitants. Voyez, il y a une formation dès l'enfance pour arriver à cette chose là.
Ca c'était la première réfléxion que j'ai pu avoir contre l'écriture littéraire. Après cette histoire j'ai été condamné à la prison, etc.. j'ai été renvoyé en Prusse orientale sur la Baltique et j'ai assisté à ce que les polonais et tchèques ont appelé les marches de la mort : c'est à dire par -20,-30,-40° tous les réfugiés allemands volontaires prisonniers, se retrouvaient sur les routes pleines de neige òu l'on fuyait en direction de la Russie; parce que de Prusse, de la baltique il était impossible de rentrer en occident : il y avait l'armée allemande en déroute, il y avait les américains, les allemands, les volontaires, les traîtres etc... Et là j'ai assisté à des choses absolument faramineuses; à savoir que l'armée Russe, l'armée soviétique n'avait pas d'intendance parce que Staline n'avait pas d'argent et avait très peu d'armement sauf celui fourni par les anglais et les américains. Alors le seul moyen que nous avions c'était de piller. Eh oui! Et l'armée rouge avait ce génie de faire ce qu'on appelait des commandos, dans la neige, qui étaient habillés en blanc, qui avaient des bottes de feutre tandis que les allemands avaient les pieds gelés dans leur chausures à leur pointure. Tandis que les Soviets avaient des pieds énormes -d'ailleurs quand je suis rentré de Russie j'avais des chaussures de 45, comme je marche en canard vous voyez le spectacle, c'était superbe... Et alors dans ces commandos il y avait toujours deux hommes et une femme. Et quand on était en dehors des "grabens" (les tranchées) que les allemands, comme des imbéciles avaient pu construire, l'armée rouge arrivait comme un rouleau compresseur, attaquait, était repoussée par les "grabens", et les commandos venaient et vidaient dans les tranchées leurs mitrailleuses. C'était superbe, un spectable sanglant ignoble, horrible, d'une cruauté sans égale, mais quand on sortait du feu, qu'est ce qu'on avait ? le chant, la danse, un peu l'amour parfois... Et c'est tout ce qu'on avait!...

Les allemands avaient fait la terre brûlée depuis Leningrad. Il n'y avait pas de maisons debout, il n'y avait rien. On dormait dans la neige; j'était réveillé à coups de bâton d'ailleurs, parce que je m'endormais pour de bon. Et alors là c'était rigolo parce que si l'armée rouge a perdu 22 millions d'individus et les allemands 6 millions c'est qu'elle n'avait pas d'intendance, elle n'avait rien.
Ils étaient dépenaillés, mais leur génie c'était les bottes en feutre, les gants, et les chapeaux... Ah bien oui, une anecdote, ils m'en ont donné un d'ailleurs! Et je me suis aperçu un jour qu'il avait plein de poux. Alors je l'ai lavé dans de la neige gelée. Mon chapeau est devenu tout petit...
Eh bien moi ces gens là, moi personnellement je les adorais parce qu'ils savaient qu'ils allaient mourir en grand nombre, en très très très grand nombre.
Mais ils avaient à l'époque, malgrè la dictature de Staline une foi en leur pays (n'oubliez pas qu'à l'époque il y avait très peu de radio, la télévision n'existait pas, les informations n'étaient pas là !). Une telle fois, que, goguenards, ils me regardaient en disant: "blenc franzusci ?" (prisonnier français), "oui", "tu te souviens de Napoléon comme il a perdu ?" - c'était leur raisonnement, c'était très drôle. Et c'est à ce moment là que j'ai eu le plaisir de chanter et danser avec eux.
Or, si on se souvient que ce pays - je n'ai pas eu d'expérience occidentale, je n'ai pas vécu la libération française - ce pays là me donnait des dimensions que je ne pouvais pas connaître en Europe et particulièrement en France - bien que ce soit un grand pays. A tel point que lorsque je suis rentré par le dernier bateau - fin aôut 45 - alors que j'étais allé jusqu'au nord à Mourmansk, la mer blanche d'abord, encore le froid... j'avais l'impression de traverser la Seine d'un seul pas, tellement c'était petit et minuscule; par exemple la Neva à Saint Petersbourg, c'est deux fois plus large, comme le Danube.
Les torrents qui vont dans la mer blanche, il est très dangereux d'y passer parce que vous ne pouvez pas revenir. Cette dimension là a eu une influence considérable pour moi. A savoir que mes poèmes me semblaient un peu réduits, que la dimension même de Baudelaire, que j'adorais, me semblait un peu trop personnelle.
C'est ce qui m'a incité, à l'époque, à rechercher des sons plus vastes, en commençant par l'écriture et j'écris toujours. Mais des sons qui soient plus universels, d'autant plus que, avec la compagnie de Mourmansk - donc au cercle polaire - c'était une époque òu le français était encore une première langue, c'est à dire que les personnes de 30 ans étaient souvent francophones. Et j'ai pu assister à une reconstitution d'une fête russe du 13ème siècle, on n'est pas sûrs que ce soit le 12ème ou 15ème, mais en tout cas c'est classé comme ça.
C'était une journée par an, comme avec les comédies antiques; une seule journée où le parlé était complètement libre chez les femmes et les hommes, où on improvisait des sons onomatopéiques, des danses, des jeux, etc... et à l'époque j'appris par un colonel et une capitaine de l'armée rouge, une chose étrange : à savoir que dans les tragédies grecques par exemple, si vous prenez les Grenouilles d'Aristophane - eh oui ! - vous avez les phonèmes qui vous donnent "breek, breek, cro-akss, cro-akss...
Dans le cirque grec, il y avait un soprano -voix aigue -, autour une dizaine de voix plus graves et tout autour vous aviez une centaine de basses. Vous aviez des pièces de théâtre dont on n'a conservé que la trame écrite, des pièces d'une demie-heure d'écriture. Cette époque n'avait pas de télé, pas de radio, même pas d'imprimerie; autour il y avait la danse, l'amour, le combat, l'horreur. Une pièce d'Aristophane, comme les Grenouilles durait 10h. Or le langage zaoum du Caucase était dans la tradition des tragédies antiques. Alors pour moi ce fut une sorte de révolution, parce qu'à l'époque je ne savais pas comment faire. Il a fallu attendre 48-52 pour avoir le transistor, pour avoir la télé pour tout le monde, pour avoir la stéréo, les magnétos à bandes qui n'étaient pas encore commercialisés. Quand j'ai fait mes revues, c'était sur des disques mono qui sont maintenant complètement dépassés, c'est normal.(2)
Je ne savais pas comment faire, d'un côté j'avais mon écriture qui était faite pour le poète lui-même, qui parlait de son ego, mais après mes expériences en Tchécoslovaquie, en Russie et ailleurs, mon moi ne m'intéressait plus du tout, ce qui m'intéressait c'était de trouver un langage qui put-être, au-delà du poème, raconté pour soi-même, par exemple quand un imbécile écrit "il est beau de courir sur un sol usurpé", c'est dégueulasse, mais c'est Victor Hugo! - eh je n'y peux rien... alors ce genre de poème, je trouvais ça ignoble, si bien qu'un beau jour en 52, avant de partir en Indochine comme volontaire, parce qu'après la mort de mes frères il fallait se trouver un peu d'argent pour aider ma mère, j'ai pris un sac, j'ai foutu tous mes poèmes dedans, je suis allé à Boulogne Billancourt, et le long de la Seine j'ai tout brûlé! Ce fut mon premier acte poétique. Ah! j'étais très fier de moi (sauf une dizaine qui sont restés entre les mains du tchèque Georges Lattal quand j'était en Tchécoslovaquie). Et si je vous raconte cela, c'est que véritablement cet immense pays m'avait ouvert et m'avait fait rechercher l'histoire des futuristes russes. J'en parle dans le catalogue Poésure et Peintrie mais pas dans tous les détails, et ce futurisme Russe (Maiakowsky, Khlebnikov et Block...) envisageait de prendre le transsibérien de Saint-Pétersbourg à Vladivostok (40 jours de train) avec des climats très différents et de réciter de la poésie dans tous les trains, avec pour seul chauffage l'éternel tchaï, le samovar, le thé. Les locomotives étaient alimentées avec du bois.
Or, en voyant la dimension extraordinaire de ce pays qui est le plus grand du monde, le deuxième c'est le Canada, mais presque inhabitable, je me suis dit qu'il fallait faire une poésie qui aille à la rencontre de gens comme Maïakowsky. Et grâce aux soviétiques je découvrais qu'un artiste raté nommé Staline, parce qu'il a voulu être poète, s'est empressé dès 1924 d'écarter tous les futuristes russes qui étaient plus avancés que les poètes futuristes italiens et polonais. Il y avait des découvertes dans le langage qu'il faut absolument connaître.

Voilà donc l'histoire de mon origine.

Après quoi, en 1955, j'ai été éducateur de l'enfance inadaptée dans l'île de Ré; la communication avec ces jeunes, parfois un peu difficile, exigeait parfois un travail oral et mental qui était tout de même extrêmement intéressant. Cette île fabuleuse qui était vierge à l'époque (pas de touristes, pas de pont) avec des hivers aux vents très violents, des étés brutaux, des chaleurs épouvantables... Et là je tombe sur le marché de Saint Martin de Ré, òu j'ai rencontré une mercière, en 55 qui avait un petit magnétophone miniature et qui prenait ses commandes sur la machine. Fasciné par cette bête à bande qui était là, je lui ai emprunté son magnétophone, j'ai commencé à lire mes poèmes. J'ai trouvé que ma voix était intéressante mais que mes poèmes ne valaient pas un clou; que c'était mauvais ! Alors au lieu d'être désespéré, je me suis dit qu'il fallait savoir utiliser le mot, le son de la voix, la voix. Et c'est à ce moment que j'ai été extrêmement passionné par l'histoire des éléments et que j'ai écrit à l'île de Ré "Pêche de nuit", j'avais enregistré des noms de poissons (bar, loup de mer, muge, mulet), mes mots onomatopéiques avec ces noms-là, c'était un peu le début. Après quoi il a fallu aller au delà. Dans le même temps les progrès techniques montaient montaient... Et ces progrès ont fait que la Tchécoslovaquie fut accessible; la radiophonie est devenue un art nouveau. Il était certain que la musique éléctroacoustique, parfois froide, était remarquable d'invention, que la poésie sonore arrivait au moment où on se souvenait que nous avions à peu près 7000 ans d'oralité depuis les Etrusques pour trois ou quatre siècles de poésie écrite qu'on nomme aussi littérature.
Pas de lien exclusif ni même absolument nécessaire entre poésie et langage.
En découvrant ces sources inconnues des langages, nous avons plus de 7000 ans de tradition orale qui n'ont pas été reconnues, mais nous avons aussi plus tard, au moyen âge, le Grégorien et un divorce entre les arts sonores, c'est-à-dire entre la poésie et la musique... pour tomber ensuite dans les choses artificielles (par exemple les livrets d'opéra) qui sont presque tous superficiels, sauf lorsqu'il y avait une transcendance vocale inconnue comme avec Mozart, dont on ne connait aucun secret. On chante sur la partition mais on sait que Mozart ne suivait pas ses partitions, c'est tout ce qu'on sait...
Dans cet article paru dans la revue de l'Ircam, je met fin à ce divorce musique/poésie.

Dans les années 80 il y eut ce gros livre sur la Poésie Sonore grâce à Michel Giroud. Là dedans il y a énormément de réponses - naturellement c'est moi qui l'ai écrit - mais il y en a une qui devrait vous intéresser; elle est en anglais parce que l'anglais est plus lu que le français. C'est une histoire des sons enregistrés. Quelle surprise ! Vous n'apprenez pas ça dans les écoles... Ca date de 3000 ans avant J.C. Ils n'étaient pas gravés dans la cire, ils n'existaient pas; mais ça a commencé aux Indes dans les chants, dans les danses, en Chine, en Egypte, en Grèce, à Rome et en Scandinavie ainsi qu'en Afrique. De quoi s'agissait-il ? Des enregistrements à eau et à vent; par exemple dans le Tyrol j'ai vu un enregistrement à eau qui descend d'une montagne pendant à peu près 30 mètres, où on fait dégringoler l'eau rugissante, c'est du Stockhausen réussi (rires). Je vous assure que c'est vrai! C'est quelque chose d'étonnant. Donc depuis 3000 ans avant J.C jusqu'à maintenant, on a tout à redécouvrir.. (5) Et c'est l'ouverture de ce livre. Ensuite il y a tout ce qui s'est passé et j'ai appris beaucoup de choses, aussi bien sur les phonétiques que sur les sonorités...
Moi je suis un vieux machin préhistorique et lorsque je l'ai publié, c'était en novembre 79, et depuis 1980 il y a énormément de jeunes qui travaillent avec ces nouveaux médias. En plus, il y a des pays qui se sont libérés, comme l'Espagne après la mort de Franco. Enfin libres, on peut faire ce qu'on veut. Comme l'ex-union soviétique òu j'ai trouvé un travail considérable à la fois pour le passé que pour le présent. Et j'ai même trouvé une chanteuse mongole de la république de Tuva, dans le sud de la Sibérie, à 15 km au nord de la Mongolie. Cette femme chante sur 6 octaves. Elle a un registre vocal hérité de ses parents qui étaient nomades dans ce coin là et marchands de tabac.
Vous avez peut-être entendu les cris des vitriers qui jouent des cordes vocales dans les rues, ça disparaît de plus en plus d'ailleurs.
Mais ces choses là existaient dans ces pays. Cette chanteuse, Sainkho Namtchylak, je l'ai découverte à Vienne et à Stockholm ensuite à Valencia, et à Madrid j'ai trouvé une femme qui s'appelle Fatimá Miranda. Très flamenco, coquette, très olé olé; mais elle aussi a un registre vocal considérable, elle travaille avec quelqu'un que vous connaissez ici : Llorenç Barber, un compositeur espagnol.
Fatimá joue aussi de ses capacités vocales qui ont été interdites par les franquistes. Ce travail là est devenu absolument international. Lorsque je parle de ces souvenirs et bien je parle de tout un monde épanoui dans le monde entier qui n'a plus de frontières. Et voilà comment les choses se passent...



Entretien avec Michel Giroud :

M.G. : connaissais-tu en 1956 les poèmes répétitifs du Cabaret Voltaire à Zurich de 1916-17 par Tzara et Ball ?

H.C. : Non, non pas du tout.

M.G. : Tu as dépassé le poème normatif et tu es arrivé aux expériences minimales du Cabaret Voltaire par toi-même. Eux ont commencé à cette époque là, et toi, tu as utilisé les micros.

H.C. : Oui, j'ai travaillé avec le micro et j'ai découpé des lettres : le R de rouge par exemple, comme le GE, se sont des valeurs phonétiques. Et j'étais très surpris de le réentendre aujourd'hui, parce que c'est la première fois depuis 56... J'étais pas mal! Pour moi c'est étonnant.

M.G. : Oui c'était pas mal du tout, étant donné que c'était un micro de 56 qui n'était pas non plus exceptionnel.

H.C. : Je vais vous raconter une histoire qui m'est arrivée en Indochine en 49 à Niatrang. J'ai assisté à une danse qui durait 8 heures accompagnée d'une sorte de sitar à 13 cordes, il y avait une danseuse très belle, immobile, en costume du lieu. Et seuls les yeux tournaient avec le son. J'étais le seul européen à rester là pendant 8 heures, étonné. Comme je ne connaissais aucun mot, je n'ai pris aucune note, mais c'est resté en mémoire. Et c'est aussi contre ce silence étonnant, cette danse hiératique que j'ai eu envie d'aller vers le son, encore plus loin. Les influences sont chez moi d'Europe Centrale et d'Extrême-Orient.

M.G. : (à l'assemblée) : l'expérience qu'il fait dans l'énorme espace de l'est, est une expérience analogue à celle des américains dans l'énorme espace américain ou canadien. En effet, ses amis américains qui ont découvert aussi l'espace sonore et la poésie sonore sont des gens qui vivent dans un énorme espace avec les vents et les élément naturels. Henri Chopin est l'un des rares en Europe avec Varèse, qui ait la conscience de l'espace-sonore.
Et c'est étonnant que tu n'aies pas parlé à ce propos des aborigènes d'Australie qui ont 40000 ans. Peut-être que tu ne les a pas rencontrés ?

H.C. : Oh! j'ai fait une connerie avec eux, à Melbourne; j'ai fait une blague dans un théâtre, il y avait une femme assise, aborigène, très belle, avec son nez très large; et je lui ai caressé le front (tout simplement, par bêtise, par ignorance). Il y avait son monsieur à côté et il n'était pas content du tout... Alors tous les aborigènes sont partis, mais avec leur téléphone aborigène, ils sont venus me rencontrer à Sydney, avec une tribu de 55 aborigènes. Ça c'est passé au musée de Sydney. On avait le grand hall avec 3000 personnes et les aborigènes ont été extrêmement sensibles à ce travail vocal. Et après ma bêtise de Melbourne, j'ai été très discret avec les dames et là, ça a été une communion étonnante...

M.G. : On a vu qu'en 52 tu avais pris conscience qu'en occident il y avait tout de même quelqu'un qui avait ouvert cette porte car il n'y avait pas Dada à cette époque dans ta connaissance, mais tu as rencontré Isou, à travers son film "Traité de bave et d'éternité".

H.C. : Dans ce film qui ne m'intéressait pas tellement je découvris la voix de François Dufrêne que je ne connaissais pas : une voix projective, lettriste à l'époque, qui n'avait aucun sens, sinon de suivre les lettres, mais une telle générosité timbrale que c'était fabuleux.

M.G. : Et Dufrêne avait alors 22 ans...

H.C. : et donc pour moi, ça a été une découverte. Et un peu plus tard j'ai rencontré en 53 l'ennemi juré d'Isou, Altagor, l'inventeur de la métapoésie qui suivait Lautréamont et Nietszche. C'était une des plus belle voix que j'ai connues et je vais vous raconter une petite histoire toute bête: je l'ai fait rentrer comme éducateur, alors qu'il était un petit peu "dérangé" disons, avec des gros caractériels, à côté de Compiègne. Il a été foutu à la porte après trois mois. Mais sa voix avait à la fois des stridences et des basses et il lisait sa métapoésie devant ces jeunes gens déjà un peu troublés. Il y en avait un de 13 ans qui était sourd pathologiquement, battu depuis l'enfance. Il s'était fermé au monde extérieur et les premiers sons qu'il a pu entendre se trouvaient dans les valeurs vocales d'Altagor; ce sourd pathologique a entendu pour la première fois de sa vie; deux ans après, il a eut un CAP, maintenant il est ostréiculteur à l'île de Ré; il est patron. Comme quoi cette histoire onomatopéique et vocale peut avoir des incidences étonnantes. C'est pourquoi, dans les pièces antiques, il y avait une sorte de génie universel. La Comédie Française est une erreur qui casse tout le jeu théatral qu'il pouvait y avoir dans l'antiquité. Pour donner une preuve, prenez le théâtre romain d'Orange, il est circulaire. Pensez que, au centre il y avait les sopranos et les basses autours, toute cette cuvette est formée comme une chambre d'echo; avec les baffles, le même principe est retenu pour avoir le son qui s'émet dans tous les espaces. Donc, on peut supposer que les anciens avaient les secrets de l'art acoustique. Pour moi qui suis de la première génération de ces travaux sonores, beaucoup nous disaient que nous étions des gens d'avant-garde comme les futuristes et les dadaistes, alors qu'en fait c'était l'interrogation de tous les âges; c'est ce qui m'a conduit à faire un livre là avec le médiéviste Paul Zumthor où j'ai composé chacune des lettres de l'alphabet...

(Il lit le texte du livre "Riches heures de l'alphabet") :
fausse fortune
fragile fantastique
folle fumeuse folliant follatique
favorisant, follâtre follement
furieuse femme furibondique
faisant frémir felloneux fortifique
fortifiant faintif, fausse faussement
feu flamboyant foudroyant fièrement
félicité faillant fièrement
ferme fierté
fâcheuse falsifique
fânée fleur, faillible faillement
facille fin, frauduleusement fondement
de toi se plaint la totale fabrique...

C'est d'un certain Jean Boucher, publié en 1500. Le langage onomatopéique touchait aussi les grands rhétoriqueurs. C'est pourquoi j'ai été présenté récemment par Arlette Albert-Birot comme un classique...
J'ai donc composé les lettres, puis j'ai écrit sur chacune un commentaire. J'ai fait des photocopies du tout et j'ai envoyé ça à mon ami Paul Zumthor à Montréal. Et lui a recherché l'origine des lettres que personne ne connaît ! Qui a gravé ces lettres ? On ne sait pas. Qui a formé toute cette architecture des lettres ? On ne sait pas non plus. On ne sait rien sur le passé. Et maintenant on retourne, grâce aux expériences du 20e siècle, vers cette entité que forme les langages. A Valence, à Madrid et à Stockholm, j'ai rencontré un artiste japonais de la performance, Seiji Shimoda. Je l'ai vu en Espagne dans un couvent de plus de 800 personnes; son truc c'est "on the table".
Il est très grand, il est très beau, quand il est habillé il est très laid. Mais quand il est tout nu il est très très beau! Il a mis des micros autour de la table et il danse tout autour de la table sans poser le pied par terre; on entend juste le travail Zen de son corps nu qui tourne autour de la table, qui est petite. Sa performance dure environ 40 minutes. Le corps s'épuise peu à peu avec la respiration, qui augmente, augmente, augmente; ça devient une rumeur qui couvre la salle, òu il n'y a plus de parole; il n'y a plus que la beauté de ce japonais. Et dans la salle de 800 personnes, je vous assure qu'aucun n'a pensé à tousser, à quitter la salle, à protester. Nous avions la rencontre, en Espagne, d'une civilisation japonaise avec l'Occident. Une fascination qu'aucun théâtre ne peut donner. C'est la première fois que je fais rentrer dans mon livre un japonais qui n'a pas écrit un mot et qui se trouve très proche de la poésie sonore parce que c'est de l'expression corporelle.
La grande différence qu'il y a, c'est qu'avec les anciens, comme à l'époque futuriste ou dadaïste, ils étaient encore oraux, ils étaient encore sur la scène, même si, par exemple, Yvan Goll voulait y mettre du cinéma. On pensait encore à l'époque que le sang humain était une valeur. Maintenant on sait que dans le sang, grâce aux microscopes, on a des milliards de cellules, comme on sait que dans la respiration, dans la voix, dans l'expression corporelle, on a des milliards de possibilités. Et le musicien Peter Schendick a dit : "Henri Chopin, un des pionniers et témoin de l'aventure de la poésie sonore, tourne le dos au bâtiment du verbe, à la sévère sémantique, pour observer et faire vivre le gouffre de milliards de cellules phonatoires." Nous sommes en plein vertige. C'est à dire que, pour des compositeurs jeunes comme Marc Battier je suis un primitif. Ce qui est normal! Et je suis ravi de ne pas jouer le poète prophète, l'anachorète sur le sable. Parce que le poète-poète est toujours dépassé, comme le musicien.

M.G. : Quelle place laissez-vous au sens, dans vos poèmes...?

H.C. : Eh! bien je vais vous lire un petit truc... Ayant séparé chacune des lettres de la sémantique et du phrasé, je me suis permis de faire ceci : en prenant chaque lettre je me suis aperçu qu'il y a le + et le - le yin et le yang ... avec le "J" vous avez la joie, vous avez le morbide avec le néant; donc j'ai joué sur cette balance entre les deux sens.

Je vous lis la consonne "J":

Elle jase de s'éjarter
Elle s'élève de ses jours
Elle jase ses os
Elle jeûne ses appels
Elle souffle ses jours
Elle jase ses paroles
Elle jacquasse ses jadis
Elle juppe et aboie après ses jardons
Comme un homme politique
Elle joquisse puisse encore le nier
Elle jarête la jambe femme
Elle est le jean, foutre du je.
Elle jette le jésuite
Elle s'en donne à coeur joie
Elle justice ses jurés
Elle jaspine jour et nuit
Elle jaillit dans l'égo
Elle est la japonaise commerciale
Elle.... par dessus la jambe
Elle jacquette le torse
Elle jauge votre maison pour y entrer
Pour s'y jenter elle-même
Elle est puissive à s'y rendre pénible
Elle est juge parlant de son jules
Inquisitrice, elle vous crochète de son hameçon
Vous balançant dans son jusant
Joie de la joie je ne voyais de joie
Joie de jeu
Jeu de joie
de la joie du jeu du jeu de la joie
Joie de réussir joie de ... la joie
De roucouler de joie de danser de joie
De joie tous les J J J J J...
Ö jouissive de joie pour le jeu à joie de la fille de joie
Sur l'extase jouissante grisant l'entrain vers joie
N'en plus finir de joie
Extase de la joie
La voix de la joie vous en renvoie
La joie qui fut le pavois, des rois, conniçois, sur des lois
Et la joie n'en finissais pas
Elle joue et saintement jacquassa jour J de joie du poussa juron ...

Si vous voulez je m'amuse sur les lettres et sur le langage. Je choisis le son, l'ironie et le jeu.



Michel Giroud : Comment as-tu découvert le dactylo-poème ? Connaissais-tu le dactylo-poème futuriste de 1919-20, publié dans la revue hollandaise De Stijl ?

H.C. : Je suis arrivé au dactylo-poème en tapant sur ma machine avec deux doigts, en 53, ça m'amusait... Je ne savais rien des dactylo-poèmes futuristes. J'ai juste vu une page d'Ilyazd en Russie, en 1949. J'avais une petite machine portative; au début c'était des mots, comme rouge, rouge, mais à la machine. Ce qui me plaisait avant toute chose c'était la sonorité de la machine à écrire.

M.G. : Alors dis-nous comment tu es arrivé à supprimer le mot dans les dactylo-poèmes, car ce sont maintenant des tableaux à lettres, donc muets. Henri Chopin a, de par son expérience, par sa propre découverte personnelle, en fait," tout "redécouvert à partir de sa culture (sans les ressources des avant-gardes Occidentales). Après, en 58, il rencontre Michel Seuphor, qui a maintenant 94 ans - c'était l'ami de Mondrian. Poète et artiste il est le plus grand témoin du siècle encore vivant : il a fondé une revue en 1920, Het Overzicht (Panorama), qui réunissait toutes les avant-gardes de son époque, à Anvers.
Seuphor a été le premier relais, Chopin fut le second, ça il ne faut pas l'oublier. En dehors de son travail vocal et de ses dactylo-poèmes Chopin a une troisième qualité: il dirige une revue de recherches en 1958, 5ème saison qui devient en 1964 la célèbre revue internationnale OU (avec sérigraphies et disques).

H.C. : En 60, je rencontre Michel Seuphor à l'occasion d'une exposition à la galerie Denise René à Paris; j'avais trouvé ses dessins à lacunes, des lignes tracées, des formes géométriques intéressantes; je lui avais demandé un poème pour la revue cinquième Saison, qu'il a envoyé bien gentiment. Un an après je rencontre Pierre Albert- Birot, un ami d'Apollinaire qui, dans sa revue SIC (en 16-19), avait publié un numéro d'hommage à Apollinaire. Albert-Birot m'envoie aussi un poème que je mets en typographie; je lui envoie un numéro de la revue; je reçois une lettre d'engueulade qui disait que je ne savais pas du tout mon travail, que c'était absolument lamentable, qu'il était furieux de m'avoir fait confiance! Au lieu d'être malheureux, j'ai commencé à chercher à connaître mieux Albert Birot, qui est mort en 1967 à 91 ans. C'était une histoire singulière. Il a été l'élève de Maurice Denis, peintre et sculpteur de la fin du siècle dernier. C'est à quarante ans qu'il a commencé à écrire sa poésie. Contrairement aux calligrammes d'Apollinaire qui étaient manuscrits, les siens étaient typographiques. Il les faisait dans sa chambre sur une petite machine à écrire circulaire et il composait sa revue et ses travaux avec une fantaisie mécanique, absolument rythmique et parfois cubiste. Et ce Pierre Albert-Birot a eu une influence considérable pour les recherches des lettres. Ce qui me passionnait, c'est qu'ils ont publiés ensemble en 1917, les Mamelles de Tirésias d'Apollinaire; avec comme sous titre "drame surréaliste" (que Breton a repris en 1924, comme emblême du surréalisme). Breton n'a jamais voulu de lui dans le mouvement surréaliste.

M.G. : Donc SIC, la revue qu'il fonde, la plus importante en France des années 20, poursuit le travail d'Apollinaire de la revue Les soirées de Paris (1912-14), signifie Sons, Idées, Couleurs; c'est le refus de la séparation des genres.

H.C. : Cette revue fut publiée sur un papier de guerre en 1916, elle vaut aujourd'hui une fortune.

M.G. : avec SIC, avec la revue Nord-sud de Pierre Reverdy, on voit le cheminement de ces poètes, qui étaient des typographes, avaient le souci du papier, de la lettre, de l'impression, et le souci de la matérialité du langage.

H.C. : Tout le 20e siècle, et même avant, en Hongrie, Bulgarie, Tchécoslovaquie, dans les pays Baltes, on reconnaît le rôle moteur de la France. A commencer, à la fin du siècle passé avec les Zutistes, dont Charles Cros était l'animateur principal. Avec la complicité de Verlaine ("de la musique avant toute chose"), de Rimbaud et Germain Nouveau, ils abandonnent l'écriture - on vient de retrouver deux lettres de Rimbaud à Verlaine disant: "je ne peux aller plus loin...". Ce qui serait, peut-être, une explication à son départ en Abyssinie.
J'ai parlé à France Culture d'un autre inconnu : René Ghil mort en 25, il prédisait à la fin du siècle dernier qu'il n'y aurait plus de poésie discursive, mais l'utilisation des machines phonétiques. Tout cela a une très grande influence, d'abord à partir de 1909, sur les futuristes, puis en 1915 sur les dadaistes, et sur Breton et son équipe. A-BIROT avait déja publié 3 mois avant la revue dada, Cabaret Voltaire, dans sa revue SIC, Apollinaire, Breton, Reverdy, Tzara, Severini mais il avait refusé Marinetti malgrè l'importance de son travail et de ses opinions politiques. Et alors il a crée une revue où il n'y avait pas 5% de déchets, avec très peu de moyens, il était chassé par tout le monde par jalousie. Alors ce bonhomme-là a dû vendre à partir de 1625 ou 26, sa revue SIC, invendue, au poids du papier. Et du fait qu'il m'ait engueulé pour un poème mal édité, j'ai cherché à mieux le connaître.
J'ai commencé par faire des expositions pour vendre ses bouquins de luxe pour qu'il ait quelque chose à lui. Et curieusement, les jeunes gens de mon âge achetaient tout, même à des prix très forts.

M.G. : Le théâtre de l'absurde c'était entre lui et Yvan Gol (qui a beaucoup travaillé avec Abel Gance).
Claire Gol est devenue l'amante de Rainer Maria Rilke dont elle a eu un enfant .
La génération de Arp, Marcel Khan, Yvan Gol était alsacienne mais de langue allemande (nés après 1911) et sur l'histoire du dadaisme à Zurich, c'était formé par des poètes de langue allemande déserteurs, ou des roumains déserteurs de la Roumanie qui était déjà alliée à l'Allemagne. Seul blessé de guerre : Hans Richter.
Le dadaisme s'est fondé à Zurich par des déserteurs, aujourd'hui des réfractaires, des insoumis, des objecteurs. L'ART ANTI-ART, en dehors de P.A.B qui pendant dix ans m'a raconté à ses anniversaires qu'il avait 78 ans, j'appris à sa mort qu'il en avait 91... Et bien il a été réformé en 14-18 car trop malingre, trop petit. On vient d'éditer GRABINOULOR (ed. Jean Michel Place), roman de 900 pages qui ont mis 60 ans pour sortir. Il s'agit d'un récit continu sans ponctuation.
Et comme par hasard, les innovateurs (psytakiltes ou perroquets) sont toujours liés à la très ancienne tradition. Et P.A.B écrit dans le manifeste de 77 : "je suis pour la tradition contre la tradition; il y a deux traditions : celle de l'innovation et celle des conservateurs depuis 7000-10000 ans..."

H.C. : Si vous voyez la courbe poétique, on sait que l'époque médiévale (contrairement à ce que l'on enseigne) était beaucoup plus libre que les églises du XIX et du XX siècles. On sait que dès Machaut, il y avait une recherche des langages avant la musique. On sait que des classiques sont venus, ont mis de l'ordre, Malherbe en tête. Les classiques se sont rendus au romantisme qui a commencé en allemagne bien avant la france et en angleterre.

M.G. : les romantiques romans au moyen-âge - non sentimentals. Après les romantiques arrivent Baudelaire, une magie d'écriture, puis les décadents; a commencé par un jeune mort à 32 ans travaillant surtout à Berlin mais écrivant en français : Jules Laforgue qui se fout de la gueule de Shakespeare qui fait un Hamlet bidon avec un seul récitant. Et c'est une valeur en soi tout à fait considérable parce que c'est un des protagonistes de ce qu'on appelle le "vers libre"; c'est à dire que la prosodie dite traditionnelle était niée, qu'elle n'existait plus. Dans la même foulée paraissent les ZUTISTES et tout l'éclatement du XXème siècle qui est aussi riche que la renaissance mais plus universelle à cause des médias, alors que, encore maintenant, on n'a pas fait le tour de la renaissance. Le poème de J.Boucher avec le "f", que j'ai lu tout à l'heure, c'est Zumthor qui l'a redécouvert.
Zumthor a publié aussi un livre concernant les rhétoriqueurs; c'est l'un des plus importants médiéviste aujourd'hui dans le monde (il vient de mourir), il a écrit 10 livres fondamentaux. C'est le seul médiéviste qui avait des oreilles d'élephant, il a rencontré Chopin et il dit que ce dernier serait l'un des articulateurs du nouveau moyen-âge, donc une plus large ouverture et non pas un amoindrissement. L'avant-garde ne serait pas l'amoindrissement (la théorie positiviste du progrès) mais par contre une ouverture généralisée à l'ensemble de la mémoire; tout à fait une autre histoire... D'òu les problèmes des écoles d'art... Vous devez faire un double effort colossal afin de remonter dans les deux sens... c'est-à-dire, les moyens actuels et ceux de l'an 1000, 7000 et -40000
(silence)
SEUPHOR...
Il a été l'introducteur en France, après 25 ans de refus, de Mondrian (premier livre en 58 : Mondrian). Mondrian qui a vécu 20 ans en France a été expulsé à cause des surréalistes.

QUESTION : Est-ce qu'il avait un rapport avec les théosophes ?

M.G. : non, non pas du tout... il était aussi ami de Seuphor. Qu'est-ce que t'apporte Seuphor?

H.C. : Il m'a enseigné le XXème siècle et m'a encouragé à voir les témoins qui restaient du XXème siècle, et avec lui j'ai connu Marcel Janko. Ces gens-là, ont tous eu des destinées épouvantables... Classés artistes dégénérés d'un côté et ensuite persécutés comme Otto... ensuite mouchardés. Je peux citer un cas concret : parmis les dadaïstes en 1916 à Zurich se trouvait Marcel Janko, un architecte qui avait fuit son pays, la Roumanie, et était venu se fixer en France (il parlait d'ailleurs beaucoup le français). Il y eu l'invasion de 1940 et il s'est enfui d'abord en Turquie et en 41 il s'est réfugié en Israël òu il n'avait aucune commande d'architecte et pas d'argent. Alors, il a eu une idée géniale; il a crée un village à 60 km de Tel Aviv qui s'appelle Aenod, et ce village était un village d'artistes, Israël invitait des artistes de renom mais surtout des peintres et des sculpteurs à trois exceptions près; Seuphor pour ses poèmes (mais fâché avec, Janko n'y est pas allé), Hans Harp pour ses poèmes (on ne le connait pas comme poète pourtant très très bon et qui écrit en trois langues) et puis moi. Et il est resté jusqu'à sa mort en Israël dans l'incapacité de parler Hébreu; donc il était très isolé et eu une fin de vie misérable et pauvre, sa peinture s'en est ressentie. Pour vous donner un idée de Janko c'est lui qui a crée les reliefs en plâtre en 1916-18, il en reste une douzaine qui valent une fortune. Il était marié à une femme qui avait un nez énorme, qui était la soeur de Jacques COSTINE qui a fait la revue en 1919-22 a Bucarest "CONTIPARANULL" LES CONTEMPORAINS, et le géneral Urmuse s'est suicidé en 25 car le gouvernement le considérait comme un râté, et Costine a eu une fin de vie épouvantable car il était juif-roumain, communiste, à l'époque où il était refusé en Roumanie. Le frère de Costine était ministre et pour punir Jacques on les a enfermés tous les deux et on a pendu le frère pendant 8 jours, ensuite on a mis à la porte Costine de Roumanie grâce à la défense de Ionesco.
Voyez, toute cette génération a été persécuté d'abord par le nazisme puis par le stalinisme et aussi par vichy, d'òu le départ de Mondrian à New-York òu il est mort dans une pauvreté absolue (pour vivre, il dessinait des fleurs qu'il vendait car il n'a jamais vendu une peinture de sa vie). Et ce sont ces gens-là qui m'ont appris le XXè siècle et le point d'orgue m'a été donné par Zumthor qui m'offrait un regard encore plus universel.

M.G. : Et le troisième témoin, celui que tu rencontres par lettre, c'est Raoul Haussman.

H.C. : Alors Haussman était persécuté lui aussi, c'est le seul dadaïste qui est resté dadasophe jusqu'à la fin de sa vie (mort en 71 en exil à Limoges ). Alors, j'allais chez le dadasophe, il parlait français, anglais et naturellement allemand et dès janvier 1933 dit à sa femme" foutons le camp", l'antisémitisme est partout. Sa femme ne voulait pas et il détestait sa femme jusqu'à la fin de ses jours pour ça d'ailleurs. Et puis Raoul est parti à Ibiza òu il a fondé une centrale dadaïste avec un seul membre: lui-même .
Pas de chance, Franco est arrivé et en 36 il a fuit Ibiza à cause du franquisme et il s'est caché à Limoges grâce à l'intervention du diplomate suèdois qui lui a trouvé un appartement à Limoges. Et là, la solidarité entre les artistes jouant, il y a un monsieur qui gagnait beaucoup d'argent mais qui le refusait, Arp, qui a payé le loyer en disant à Raoul : "quand tu seras riche, tu me le rendras" mais il est mort avant...
Et puis, Raoul était un caractère entier; j'avais publié dans une revue flamande un texte parlant de la première génération de Haussman et autres ("la table ronde de Paul Devree "). Et puis montrant que ces gens-là étaient des primitifs qui n'y comprenaient rien, qu'il y avait de nouvelles machines de nouveaux médias etc... (tout ça en 1964 ) alors, il m'a envoyé une lettre d'injures et a écrit à tous ses copains que j'était un salaud... Puis, en 1968, j'ai eu des démélés avec la radio française, ma femme anglo-française aussi, et on est parti. Raoul apprenant la chose m'envoie une lettre de félicitations
(en 68 il était presque aveugle). Il défilait dans Limoges avec une pancarte : "a bas de gaulle "!. L'homme était absolument délicieux! On est devenus très très amis.

M.G. : 170 lettres, à peu près, qui seront peut-être publiées un jour...
Haussman - Chopin, l'histoire de leur histoire. Premier disque en 1964 dans la revue OU (première revue-disque), il publie le premier disque de Haussman. Maintenant il manque ça : une nouvelle revue avec vidéo, cd rom, sérigraphies etc ...

Fin de la conférence.